Que se passe-t-il lorsque vous basculez des champs de riz aux suites les plus luxueuses des palaces parisiens ?

C’est le cas pour nombreux des 17 millions de millionnaires que comptent la Chine aujourd’hui, sachant que ce nombre devrait encore augmenter dans les 5 ans à venir. Je ne vous fait pas de cours d’histoire, ancien pays communiste, la libéralisation du marché a poussé des gens qui n’avaient aucune notion de savoir-vivre à devoir se rééduquer d’eux-mêmes, sur le tas. Et là, est mon premier arrêt.

J’ai connu (indirectement) des gens qui, passés du ghetto au gotha, ont embauché des gouvernantes suisses pour apprendre les bonnes manières ( à quoi sert la petite fourchette, pourquoi il ne faut pas poser ses coudes sur la table, il ne faut pas souhaiter “bon appétit”, comment bien placer ses boutons de manchette etc ). Ce genre de choses apparaît toujours ridicule pour ceux qui font partie de l’élite aristocrate ou bourgeoise depuis plusieurs générations. On a comme l’impression que ces “nouveaux riches” sont des escrocs, et l’on ne se gêne pas pour leur faire comprendre que tout l’argent du monde ne leur apportera JAMAIS la noblesse du sang et du rang. D’ailleurs, ces informations, on se les raconte en messe-basse pour se moquer ( Ah tu as vu tel ? il prend des cours pour se tenir à table ! Quel souillon !). Pour ma part, je ne me moque pas. Je considère que c’est une démarche très honorable que d’essayer de se corriger, de s’élever soi-même aux standards du nouveau monde auquel l’on appartient. Alors bien sûr, certains poussent un peu la chose au point de devenir des caricatures de “nouveau riche qui veut faire croire qu’il a toujours été dans ce milieu“, et du coup, là on peut parler de supercherie. Mais je ne vois pas pourquoi il faudrait critiquer une personne qui sait qu’il est VITAL de maîtriser certains codes si l’on veut progresser ou du moins développer un réseau utile dans un milieu aussi fermé. Maintenant, c’est sûr, la différence entre un riche “de souche” et celui qui essaie de faire croire qu’il l’est, sera toujours relativement visible. Il ne s’agit pas de TOUT savoir, mais d’être en mesure de tourner la conversation à son avantage quand on est pris au dépourvu (cela me ramène à mes cours de lycée sur l’anatomie intellectuelle de l’Honnête Homme, l’homme de cour et l’homme des salons).

Revenons-en donc à nos amis chinois. Comme je l’ai dit plus haut, une grosse partie d’entre eux est issue de l’arrière-pays, et ont fait fortune dans l’industrie. Maintenant qu’ils ont assis leur puissance économique et financière, ils découvrent le monde, l’art, bref, une culture à mille lieux de la leur mais qu’on leur fait passer ( à tort ou raison ) pour “point de repère” du savoir-vivre de manière globale. Ici, je marque mon deuxième arrêt.

La sophistication en général, est européenne. Ce qui apparaît comme étant de “bon goût”, classe, fin, distingué, est toujours basé sur le point de vue européen. Pourquoi ? parce qu’historiquement, l’Europe a su exporter et imposer (de manière cordiale ou non) ses propres codes à l’ensemble de la planète. Quand je regarde les nouveaux riches américains, même eux (qui viennent pourtant d’un pays occidental), se calent sur l’Europe (Paris, Londres) pour savoir ce qu’il est de bon ton de faire/lire/porter/acheter. Idem à l’intérieur de l’Europe, pour les nouveaux riches slaves, russes en particulier. J’en suis moi-même une manifestation puisque je critique le manque de tact des new yorkaises dans leurs choix vestimentaires, en me calant sur un minimalisme qui est issu des normes européennes. Ceci étant, j’en suis arrivée à me dire qu’il est plus que temps de peut-être faire bouger les lignes. Imposer d’autres codes. Aujourd’hui, le vieux continent est instable, dû notamment à la crise économique, qui affecte aussi l’influence indiscutée qu’il a eu sur le monde jusque là. Les pays des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) sont aujourd’hui en position (je pense) de pouvoir développer leur propre culture, tout en l’adaptant à un contexte mondialisé. Voir ces grandes familles industrielles multi-milliardaires essayer de perpétuer ce que leurs équivalents européens ont fait des siècles avant (acheter des tableaux, des châteaux, investir dans l’art etc) je trouve ça un peu…dépassé.

Toute cette réflexion m’est venue après avoir regardé cette vidéo d’Angelica Cheung, rédactrice en chef du Vogue Chine.

 

Comme j’ai pu le lire, elle donne une véritable leçon sur l’économie émergente d’un pays, mais pas que. La croyance populaire veut qu’un magazine de mode ne soit finalement qu’un catalogue pour personnes égocentriques, écervelées et sans grand intérêt. Je vous l’accorde, les séances photos avec des looks sans queue ni tête peuvent prêter à confusion. Mais voyez un peu au-delà, chers amis. Avec le temps et l’expérience (à la fois chez Fashiz, et les stages que j’ai pu effectuer dans les Relations Publiques), j’ai fini par comprendre qu’un magazine est le thermomètre d’une industrie, voire d’une économie sur le plan large. Encore plus dans un pays où une classe moyenne (voire plus) se cherche, essaie de s’inventer des signes d’appartenance et de se construire sur un moule défini.

Ces gens (millionaires chinois) ne connaissent rien (au bon goût): alors ils se ruent sur ce qui est le plus évident: les produits pleins de logos. Nous sommes là pour les éduquer afin qu’ils puissent mieux trouver ce qui leur correspond“. Face à ces propos de Miss Cheung, certains m’ont dit que ça n’avait rien d’exceptionnel, tous les nouveaux riches, comme les Sapeurs congolais ou les boucantiers ivoiriens, se comportent de cette manière. Ce avec quoi je suis partiellement d’accord.

Les Sapeurs/Boucantiers, d’une part ne sont pas forcément riches, donc ça fausse le parallèle avec les millionaires chinois. D’autre part, les Sapeurs sont dans une sorte d’idéologie, une culture du paraître qui est acceptée et entretenue. Or, je pense que si les chinois fortunés se jettent sur les sacs monogrammés Vuitton, ce n’est pas forcément qu’ils veulent montrer qu’ils sont riches (même si ça compte). Je pense que c’est par défaut justement, de ne pas savoir ce qui est raffiné ou non, et Angelica le dit elle-même dans la vidéo. Certaines marques imposent d’avoir suffisamment de discernement pour les porter avec justesse, raison pour laquelle il y a une sélection faite dès la base quand ces dernières décident ne pas mettre de logos sur leurs produits. Je pense que ça va au-delà du choix de stratégie commerciale. Les problématiques rencontrées par le Vogue Chine rappellent énormément celles que l’on rencontre sur le marché de la mode (et du luxe) à l’africaine: développement du secteur, lectorat en pleine transition, infrastructure etc. Et même si les croissances économiques ne sont pas aussi phénoménales l’une que l’autre, cette vidéo m’a confortée dans l’idée qu’un magazine dédié est plus que jamais nécessaire.

1 Commentaire

  1. Oui, VOGUE CHINA sert à éduquer les consommateurs chinois ou autres à consommer plus de LVMH et PPR (& RICHEMOND au passage). On ajoutera les puissantes maisons familiales italiennes (Prada, Versace)et françaises comme Hermes & Chanel. Est-ce que finalement, le magazine ne va pas plus les transformer en consommateurs compulsifs qu’en modeux ou Socialites aguerris…Je ne sais pas. le Vogue CHINA incite-t-il ses lecteurs à consommer Designer Chinois, j’en doute. Il leur permettra de s’ouvrir au monde occidental en VOST tout en standardisant leur vision du bon goût. Aujourd’hui porter un Sac Hermes ou une veste Balmain n’est plus si loin que de porter un gros sac monogramme. Ce sont tous des attributs sociaux propres à un monde. Néanmoins, le VC permettra surement à ses lecteurs d’affiner leurs goûts donc, c’est un bon magazine d’initiation….

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